Reposer sur la parcimonie ne nous mènera pas tous aux mêmes conclusions s1Molé, Phil: "Ockham's Razor cuts both ways: The Uses and Abuses of Simplicity in Scientific Theories", vol. 1, 10, 1er avril 2003, pp. 40-47
William d'Ockham, appelé en France "Guillaume d'Ockham" naît, comme son nom l'indique, à Ockham dans le Surrey (Grande Bretagne) (non loin de Londres) à une date que nous ignorons (vers en ). Il entre jeune dans l'ordre des franciscains. Sous-diacre en , il commence des études de théologie à Oxford en . A partir de en , il y commente le Livre des sentences de Pierre Lombard, jusque en . Il est alors "bachelier formé" au terme d'une cérémonie dite inceptio, ce qui fait de lui un inceptor, c'est-à-dire un simple candidat à la maîtrise. Il ne deviendra jamais maître en théologie.
en , en effet, ses études sont interrompues sur dénonciation du chancelier de l'Université, John Lutterel. Une liste de propositions tirées de son Commentaire des sentences est en effet jugée hérétique. Il est convoqué à Avignon devant le pape Jean 22. Il conserve 3 ou 4 ans sa liberté de mouvement et d'enseignement, résidant au couvent des franciscains, sans qu'aucune condamnation formelle n'intervienne.
Cependant, au cours de son séjour en Avignon, Ockham se lie à la fraction de son ordre (notamment Michel de Césène) qui défend, contre le Pape, la pauvreté intégrale préconisée par Saint François. Pour mieux défendre la cause, cette faction devient alliée et bientôt agent de Louis de Bavière dont Jean 22 refuse la désignation comme empereur. Louis de Bavière se fait couronner à Rome et fait élire l'antipape franciscain, Nicolas 5.
en , Guillaume d'Ockham s'enfuit d'Avignon avec Michel de Césène et 3 autres franciscains. Il se rend d'abord à Pise, puis à Munich. Son sort est désormais lié à celui de l'empereur. Il mène une féroce polémique contre Jean 12.
Dans la querelle des Universaux il adopte le point de vue nominaliste. Pour lui, seul le singulier est réel ; ce
qui est universel n'existe que dans l'esprit. On ne peut pas déduire l'immortalité de l'âme des principes rationnels car elle n'est pas fondée sur l'expérience. Le
"Rasoir d'Ockham" n1souvent mal orthographié Occam désigne ainsi le principe d'économie en
logique : Pluralitas
non est ponenda sine neccesitate
(la pluralité ne devrait pas être posée sans
nécessité), et Frustra fit per plura quod potest fieri per pauciora
(il est inutile de faire avec plus ce qui
peut être fait avec moins).
Un de ses éléves écrira plus tard : Entia non sunt multiplicanda praeter
necessitatem
(les entités ne devraient pas être multipliées sans nécessité).
En physique on utilise le rasoir pour se débarrasser de
concepts métaphysiques. Beaucoup de savants ont adopté ou réinventé le Rasoir d'Ockham, s2Leibniz, L'identité des observables,
indiquant par exemple Nous n'avons à accepter pas plus de causes des choses naturelles que celles qui sont à la
fois vraies et suffisantes pour expliquer ces choses
s3Newton, I.: Principia : The system of
the world.
Nous pouvons toujours imaginer qu'il existe une série de lois qui détermine complètement les événements pour un être surnaturel, qui pourrait observer l'état actuel de notre univers sans le perturber. Toutefois, de tels modèles de l'univers ne nous intéressent pas nous autres mortels. Il semble préférable d'utiliser le principe connu sous le nom de Rasoir d'Occam et éliminer toutes les effets de la théorie qui ne peuvent être observéss4Hawking, Stephen: Une brève histoire du temps
.
Ernst Mach soutint une version du rasoir d'Ockham qu'il appela le principe de l'économie, qui
s'énonce : Les savants doivent utiliser les concepts les plus simples pour parvenir à leurs résultats et
exclure tout ce qui ne peut être perçu par les sens.
Menée jusqu'à sa conclusion logique, cette philosophie
devient le positivisme (i.e. la conviction qu'il n'y a pas de différence entre ce qui existe mais
n'est pas observable et ce qui n'existe simplement pas).
Mach influence Einstein en clamant que l'espace et le temps
ne sont pas absolus, mais applique aussi le positivisme aux molécules. Il annonce — comme le feront ses
successeurs — que les molécules sont des concepts métaphysiques, car trop petites pour être détectées
directement, et ce en dépit du succès de cette théorie à expliquer les réactions chimiques et la thermodynamique.
Il est ironique que bien qu'utilisant le principe d'économie pour se débarrasser du concept d'éther et d'un
référentiel absolu au repos, Einstein publia presque en même
temps un article sur le mouvement brownien qui confirmait la réalité des molécules et opposait donc un
contre-exemple à l'utilisation du positivisme. Einstein
indiquera dans ses notes autobiographiques : Ceci est un exemple intéressant du fait que même des élèves ayant
l'esprit audacieux et un instinct affiné peuvent être bloqués dans l'interprétation de faits par des barrières
philosophiques.
Le principe d'Ockham est souvent décrit comme le fait de donner préférence à la plus petite théorie possible
(avec le moins d'objets possibles dans le modèle attendu, et le moins d' hypothèses
ad hoc possibles) en oubliant de dire qu'Ockham ne recommande ce choix que toutes choses étant
égales par ailleurs
. (i.e. les autres aspects comparables ne différant pas).
On trouve ainsi, énoncés différemment, des formes dérivées du rasoir qu'Ockham le voulait, que l'on devrait plus correctement qualifier de principes de parcimonie ou de simplicité :
Si on a 2 théories qui expliquent toutes 2 les faits observés alors on devrait utiliser la plus simple jusqu'à ce que d'autre preuves soient découvertes.
L'explication la plus simple pour un phénomène est vraisemblablement plus juste que des explications plus compliquées.
Si vous avez 2 solutions à un problème qui semblent de même valeur, prenez la plus simple.
L'explication nécessitant le moins d'hypothèses possibles est vraisemblablement plus correcte.
Gardez les choses simples !
Pour Ockham, on ne peut par exemple choisir entre des théories faisant des prédictions différentes. Ce principe
remonte à aussi loin qu'au temps d'Aristote qui écrivait La nature utilise le
chemin le plus court possible
. Aristote alla trop loin en croyant que les
expériences et l'observation n'étaient pas nécessaires. Le principe de simplicité fonctionne comme une règle "avec
les mains" heuristique, mais certaines personnes le citent, à tort, comme un axiome de la physique. Il fonctionne
bien en philosophie ou en physique des particules, mais moins
souvent en cosmologie ou en psychologie, où les choses deviennent plus compliquées qu'on ne pouvait s'y attendre
quand on les approfondit. Peut-être qu'une citation de Shakespeare pourrait être plus appropriée que le rasoir
d'Occam : Il y a plus de choses dans le paradis et la Terre, Horatio, que celles auxquelles on rêve dans notre
philosophie.
La simplicité est un concept subjectif et l'univers, ou notre voisin, n'a pas toujours les mêmes idées que nous
sur la simplicité. Les théoriciens qui réussissent parlent souvent de symétrie et de beauté autant que de
simplicité. en , Dirac écrivait : Le chercheur, dans son effort pour exprimer les lois
fondamentales de la Nature en langage mathématique devrait en priorité tenter d'obtenir la beauté mathématique.
Il arrive souvent que les exigences requises pour la simplicité et la beauté soient les mêmes, mais quand elles
sont en désaccord c'est la dernière qui doit être prioritaire.
La loi de parcimonie n'est pas un substitut
de la perspicacité, la logique et la méthode scientifique. On ne devrait jamais compter sur elle pour établir ou
défendre une conclusion. Comme gage d'exactitude seules la cohérence logique et les preuves empiriques sont
absolues. Dirac a eu beaucoup de réussite avec sa méthode. Il a construit l'équation relativiste du champ pour l'électron et l'a utilisée
pour prédire l'existence du positron. Mais il ne suggérait pas que la physique devait être basée uniquement sur la
beauté mathématique. Il a pleinement compris le besoin de vérifications expérimentales.
Ce principe, s'il est intéressant, n'est pas une règle absolue, comme le rappelle Philip Morrison
: C'est un critère purement économique ; ce n'est pas le seul guide pour la science — ce n'est en aucune
manière un guide sûr pour la science. C'est simplement un guide, mais je le trouve assez intéressant
s6Morrison 1969. Pour Morrison le
témoin doit être considéré comme un instrument complexe, avec ses avantages et ses inconvénients comme les autres,
et ce qui compte avant tout est de prendre en compte correctement l'ensemble des liens reliant le phénomène
observé à la mesure.
Sur le même principe, il existe le rasoir d'Hanlon, qui dit N'attribuez jamais à la malice ce qui peut être
expliqué de façon adéquate par la stupidité.
A la mort de Jean 22, son successeur Benoît 12 devient à son tour la cible d'Ockham. Ockham meurt à Munich le .
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