Suivre les recommandations de la commission n'était pas chose facile. Les ovnis n'étaient pas considérés comme un sujet d'investigation de valeur par de nombreux "scientifiques impartiaux" (une exigence de l'Air Force demandait à ce que l'on élimine de ces investigations les ufologues tels que Hynek et McDonald) ou par les universités. L'Air Force fut repoussée tour à tour par MIT, Harvard, par l'Université de Caroline du Nord et par l'Université de Californie avant que l'Université du Colorado accepte la tâche. Certains disent que le Colorado accepta uniquement parce qu'ils avaient besoin du contrat du gouvernement, contrat d'un montant de 500 000 $ à la fin du projet. Les conditions pour le partage des fonds furent modifiées de sorte que le Colorado n'eut à payer qu'un dollar.
Pour diriger le projet, ils trouvèrent un physicien éminent et respecté, le Dr. Edward U. Condon, et il y eut également une controverse afin de savoir pourquoi
il avait accepté la tâche. Beaucoup de ses collègues de travail avaient refusé, ne serait-ce que pour des raisons de
manque de temps à consacrer à ce projet (et Condon lui-même n'y consacra que la moitié de son temps). Il le déclara
lui-même que c'était parce qu'on avait fait appel à son sens du devoir car l'Air Force l'avait réclamé personnellement
pour diriger le projet, et qu'après quelques discussions avec ses collègues, il avait décidé de l'accepter. Il ajouta
ceci : Si j'avais pu connaître l'étendue de l'engagement émotionnel de ceux qui croient aux ovnis ainsi que les
extrémités auxquelles leurs croyances les conduisent, je n'aurai probablement jamais accepté l'étude
. (74).
Avec Condon, les principaux investigateurs étaient Stuart W. Cook (psychologue), Franklin E. Roach (astrophysicien), David Saunders (psychologue), ainsi que William Scott (psychologue) cité comme principal co-investigateur, Robert Low, assistant du Doyen de la Graduate School nommé coordinateur du projet, ainsi que 5 associés de recherches Norman E. Levine (docteur en ingéniérie), Ronald I. Presnell (maîtrise d'ingéniérie), Gerald M. Rothberg (docteur en physique), Herbert J. Strentz (maîtrise de journalisme), et James E. Wadworth (licence en sciences du comportement).
Le choix de Condon sembla plaire à la fois aux croyants et aux incroyants, car tous étaient convaincus de son impartialité et son désir de ne pas être influencé par l'opinion populaire. Pendant l'ère de McCarthy, il fut traité de communiste et plutôt que de subir passivement, il demanda une audition et tint tête à la presse. Il fut alors lavé de tous soupçons (75).
Cependant, peu après que le projet commença à travailler en octobre 1966, des doutes commencèrent à se faire jour quant à son impartialité, particulièrement quant à l'impartialité de Condon. En janvier 1967, Condon déclara dans un discours que le gouvernement devrait se débarrasser de cette affaire d'ovnis et que le phénomène lui-même n'était strictement rien. Des discours ultérieurs et des interviews firent encore plus état de cette attitude négative (76). La situation s'aggrava encore en juillet 1966 quand deux membres du projet, Saunders et Levine, découvrirent un mémorandum écrit par le coordinateur du projet, Low, le 9 août 1966, peu avant que le projet ne démarre. Dans ce mémorandum, Low donne quelques informations sur la manière dont devrait être conduit le projet et écrit :
Notre étude devrait être conduite presque exclusivement par des non-croyants, qui, quoique ils n'arriveraient pas à prouver un résultat négatif, pourraient ajouter et le feraient probablement un volume impressionnant d'évidence qu'il n'y a aucune réalité dans les observations. Je pense que le "truc" serait de décrire au public le projet de cette manière, de telle sorte qu'il apparaîtrait comme une étude totalement objective, mais pour la communauté scientifique, présenterait l'image d'un groupe de non-croyants essayant de faire de leur mieux pour être objectifs, mais n'ayant pratiquement aucune chance de trouver une soucoupe volante(77).
Saunders et Levine furent extrêmement blessés par la suggestion de "l'astuce" et envoyèrent une copie de la lettre au Président du NICAP, Donald Keyhoe. Keyhoe retransmit une copie au docteur James McDonald, un ufologue de l'Université d'Arizona, qui en fit état à Low dans sa lettre de juin 1969. Low reçut la lettre de Mc Donald le 6 février et on raconte qu'il fut furieux. Il rapporta l'affaire à Condon qui accusa Saunders et Levine d'avoir volé la lettre et qu'ils n'avaient pas à l'envoyer à l'extérieur du projet. Saunders et Levine furent immédiatement licenciés pour insubordination. 2 semaines plus tard, l'assistante administrative de Low, Mary Louise Armstrong, démissionna déclarant que la morale était très basse à l'intérieur du projet et que les participants n'avaient pas confiance dans la direction de Low.
L'histoire complète de cet incident a été écrite par John Fuller pour un magazine (78) et créa un véritable tumulte à l'intérieur de la communauté académique et dans le Congrès, quoique les réactions du public furent atténuées. NICAP et APRO, qui avaient fourni à l'équipe Condon des rapports et des investigations préliminaires effectués par leurs membres, de même qu'ils avaient rendu d'autres services éminents, supprimèrent leurs aides au comité. Au congrès, le représentant J. Edward Roush de l'Indiana organisa des auditions devant le House Science and Astronautics Committee sur les ovnis, bien que le comité Condon lui-même ne fut pas consulté, car il ne tombait pas sous la juridiction de ce comité (voir section suivante).
Condon déclara qu'il n'était pas au courant de l'existence du mémorandum jusqu'à la lettre de McDonald en février 1968, bien après que le projet eut démarré et par conséquent, il n'eut aucun effet sur sa mise en œuvre (79). Saunders lui-même, émit une deuxième idée quant à la part de Condon dans cette lettre. Il supposa, comme Condon était mentionné, que celui-ci était au courant, mais admit que Condon avait pu ne pas l'être et que, s'il l'avait été, il aurait contrôlé différemment la situation (80). Certains critiquèrent Saunders et Levine pour avoir envoyé la lettre au NICAP plutôt qu'au responsable Air Force du contrat.
Au moment où ils publièrent leur étude, le 1er juin 1968, le résultat des dissensions continuelles à l'intérieur du groupe fit qu'une ombre de suspicion avait déjà recouvert leurs recommandations finales.
Ceci peut avoir incité Condon à envoyer le rapport à l'Académie Nationale des Sciences pour examen avant publication, et celle-ci donna officiellement son approbation à ce rapport.
La Commission de l'Académie Nationale des Sciences comprenait 11 scientifiques sans expérience précédente dans le domaine ovni et leurs examens provoqua bientôt plus de controverses que le rapport lui-même. Ils trouvèrent que l'approche, la méthodologie et les conclusions de ce travail, étaient très satisfaisantes :
Notre opinion est, que le champ de l'étude était bien adapté à son propos : une étude scientifique du phénomène ovni.
Nous pensons que la méthodologie et l'approche ont été bien choisis, en accord avec les standards reconnus d'investigation scientifique.
Nous sommes d'accord avec les évaluations et les recommandations.
Nous sommes unanimes à penser que ceci fut un effort crédible pour appliquer objectivement les techniques scientifiques à la solution du problème ovni... Bien que des études ultérieures d'aspects particuliers du sujet (par exemple le phénomène atmosphérique) puissent être utiles, une étude des ovnis, en général, n'est pas une voie très prometteuse pour augmenter la compréhension scientifique de phénomènes. Basée sur la connaissance actuelle, l'explication la plus improbable des ovnis est l'hypothèse de visites par des êtres extra-terrestres intelligents.(81)
La conclusion principale du rapport Condon, telle qu'elle est faite par Condon, dans son résumé, est la suivante :
Notre conclusion générale est qu'il n'y a rien eu, dans l'étude des ovnis de ces 21 dernières années, d'apporté à la connaissance scientifique. Un examen attentif du dossier qui était à notre disposition nous conduit à conclure qu'une étude extensive ultérieure des ovnis ne saurait être justifié par la perspective de faire avancer la science (82).
Cependant, une seule page après, il ajoute :
Les scientifiques ne sont pas des gens qui respectent l'autorité. Notre conclusion que l'étude des rapports sur les ovnis ne fera pas progresser la science, ne sera pas acceptée sans critique par les scientifiques. Elle n'a pas à l'être et nous ne souhaitons pas qu'elle le soit. Pour les scientifiques, nous souhaitons que la présentation analytique détaillée de ce que nous étions à même de faire et de ce que nous ne pouvions pas faire contribuera à leur décision d'accepter ou non, nos conclusions. Nous souhaitons que les détails de ces rapports aident d'autres scientifiques à identifier les problèmes et les difficultés auxquels ils auront à faire face...
Nous pensons donc que toutes les agences du Gouvernement Fédéral ainsi que les fondations privées, doivent être prêtes à considérer les propositions de recherches sur les ovnis, au même titre que les autres propositions qui leur sont soumises sans préjugé et sans parti pris. Bien que nous ne pensons pas, à l'heure actuelle, que quelque chose de valable débouche de telles recherches, chaque cas particulier doit être examiné attentivement selon ses propres mérites(83).
Hynek qualifie cela de : chef d'œuvre dans la manière de jeter un os
politique à ronger aux chiens critiques. Une déclaration aussi peu sincère peut être difficilement imaginée, et
sûrement que le Docteur Condon, qui est un maître dans le domaine politico-scientifique, serait le premier à le
reconnaître comme tel
(84). Ou Condon était réellement tortueux,
ou il voulu simplement attirer l'attention sur le fait qu'il n'était qu'un comité et que tout le monde peut faire des
erreurs ; ce n'est en fait qu'une question d'opinion.
Outre le fait de trouver des fautes dans les cas qui ont été choisis pour être étudiés (certains se plaignent qu'aucune tendance n'ait pu être établie, bien que la plupart des cas soient des cas récents) et en plus de la méthodologie scientifique utilisée, la critique semble portée sur la participation de Condon à l'étude. Parmi les 23 chapitres, il en écrivit un seul, qui parlait des aspects historiques de l'implication de l'Air Force. Il écrivit le résumé et les conclusions, mais ceci ne semble pas cadrer avec ce que les autres participants ont écrit dans le reste du livre.
Pour comprendre le rapport Condon, qui est difficile à lire, en partie à cause de son organisation on doit
d'abord étudier le rapport en bloc. Il ne suffit pas de lire les résumés, du genre de ceux écrits par Sullivan et par
Condon, ou les résumés des résumés sur lesquels semblent compter une grande majorité de lecteurs et de médias de la
presse. Il a des différences dans les opinions et les conclusions tirées par les auteurs des différents chapitres et
il y a des différences entre celles-ci et le résumé de Condon. Toutes les conclusions contenues dans le rapport
lui-même, ne sont pas intégralement reflétées dans le résumé de Condon.
Le chapitre de Condon, résumé de l'étude, contient plus que son titre ne l'indique. Il reflète beaucoup de ses
conclusions personnelles ; une des raisons qui fit que Condon fut prié de diriger le projet, est sans aucun doute, son
habileté à faire des jugements de valeur. On est heureux d'obtenir le jugement de quelqu'un de si expérimenté et de si
respecté ; mais on n'a pas besoin d'être d'accord avec.
(85).
En fait, quoiqu'il y eut beaucoup de critiques du rapport Condon dans la communauté scientifique, le public accepta généralement la conclusion de Condon sur le fait qu'il n'y avait aucun intérêt à continuer l'étude de ce problème. L'Air Force utilisa ce raisonnement pour supprimer le projet Blue Book, en décembre 1969, et depuis lors, on ne porte aucun intérêt officiel au sujet. Le rapport Condon est, pour le moins un travail extensif de références sur les ovnis.