J'ai parfaitement conscience d'irriter le lecteur avec ma manie d'intervenir à tout moment pour couper le fil conducteur du récit de Marius Dewilde. Formuler quelques excuses à ce sujet serait bien séant mais parfaitement inutile et tout a fait hypocrite. J'interviens, au fur et à mesure du récit, parcequ'il me semble nécessaire d'apporter quelques "pièces" au puzzle qui, lentement mais sûrement, s'assemblera dans l'esprit du lecteur. Que celui-ci me pardonne quand même, on peut être "brouillon" et discourtois en demeurant sincèrement fraternel. Marius Dewilde, à vous ! Parlez-nous donc un peu de cette "chose". Quand j'ai voulu rallumer ma torche électrique, celle-ci ne fonctionnait plus, pourtant les piles étaient neuves. J'ai appelé ma femme en hurlant : elle est arrivée suivie de mon locataire, un nommé Bertin, agent de la SNCF. Tous deux me regardèrent à la lueur d'une lampe tempête. J'étais blême, terrorisé. Je tentai d'expliquer, en bafouillant, ce que je venais de voir.
- Tu as bu !
répliqua ma femme. Ce que tu racontes ne tient pas debout.
- Je n'ai pas bu
,
affirmai-je, et tu le sais très bien puisque je suis sous antibiotiques et que le médecin m'a interdit
l'alcool.
Je réfléchis un instant et dis :
- Je dois avertir la police
J'ai téléphoné a la gare de Blanc-Misseron mais sans succès le passage à niveau - comme tous les P.N. - était pourvu d'un poste téléphonique destiné au service de la SNCF, et ses 12 piles avaient été changées récemment : elles étaient maintenant "vidées", comme celles de ma torche électrique. Je devais m'apercevoir que les piles de mon poste transistors étaient également "à plat". Le village le plus proche se nommait Quivrechain, situé à 4 km d'où j'habitais. Partant dans l'obscurité pour prendre mon vélomoteur, je luttai contre de violents maux de ventre la panique dont j'avais été l'objet produisait un effet rétro-actif. Victime d'une soudaine diarrhée, je dus m'arrêter plusieurs fois en cours de route. C'est lors du premier arrêt que je vis la "chose" posée sur le bord du ballast. La lune l'éclairait. Je m'approchai et vis qu'il s'agissait d'une boîte métallique mesurant, à peu prés, 70 cm de long sur 40 cm de large et de profondeur. Elle contenait un appareillage avec des cadrans. Je sortis mon briquet, l'allumai et - nouvelle stupéfaction ! - le couvercle de la boîte métallique se rabattit sur son secret, sans le moindre bruit. Aussitot, je songeai à une bombe. La boîte, pourtant, n'explosa pas : aucune "minuterie" à l'intérieur, pas le moindre "tic-tac". Je décidai de la cacher dans le fossé avant de me remettre en route pour Quivrechain.
Arrivé a la gendarmerie, je sonne. Nul ne répond. Il faut pourtant que je fasse une déposition : je songe alors aux douaniers, ils me connaissent bien, car je passe tous les jours la frontière : je vais les trouver.
- Que t'arrive-t-il ?
, me dit-on, tu as une sale tête.
J'explique ce qui vient de se passer en omettant, volontairement, la découverte de la boîte. Je suis blême, défait, mon ton est convaincant, malgré cela la suspicion voile les regards qui me scrutent
- Ce n'est pas de notre ressort
, Mario. Il faut aller voir le commissaire de police.
J'acquiesce et enfourche mon vélomoteur. Je suis plus calme, mes maux de ventre se sont dissipés. Quelques minutes suffisent pour arriver au commissariat. A cette heure-ci, le commissaire est chez lui, bien prés de se mettre au lit, mais "service service" le commissaire Gouchet me reçoit, m'écoute, me questionne, enregistre ma déposition qu'il me fait signer et me dit de rentrer chez moi. Je lui ai tout raconté, sauf ma "trouvaille". Quand j'arrive a la maison, vers 1 h 30 du matin, tout le monde dort. Je dépose mon vélomoteur sur le talus en regardant partout autour de moi, la campagne est sombre et silencieuse. Je lève la tête vers le ciel, comme si celui-ci pouvait m'apporter une réponse. Ai-je rêvé ? Suis-je devenu subitement fou ? Et brusquement, je pense à la boîte : cet objet est la preuve que je ne suis pas fou, que je n'ai pas rêvé. Et puis mon esprit se brouille, cette boîte a-t-elle jamais existé ? N'est elle pas le fruit d'un trouble psychique, de je ne sais quel phantasme? Il n'y a qu'une seule chose à faire pour en avoir le cœur net. A propos de mon cœur, il bat a tout rompre, comme s'il voulait s'extraire de ma poitrine tandis que je me livre a des investigations qui griffent mes mains. Ce n'est pas la peur de ne pas retrouver la boîte qui me rend fébrile et met mon corps en sueur : je veux dire, cette boite, finalement, je m'en moque... mais si je ne la retrouve pas, cela prouvera... cela me prouvera que je suis bel et bien fou. Tout d'abord, j'ai le souffle coupé, et puis, j'exhale un immense soupir : elle est là ! Je n'ai pas rêvé ! Je ne suis pas fou ! Tout ce que j'ai vu et raconté par la suite est bien vrai, terriblement vrai. Trop vrai. Je prends l'objet, le manipule et, une nouvelle émotion m'assaille : c'est une boîte, j'en suis sûr. j'ai vu son couvercle se refermer, c'est certain... alors pourquoi est-elle faite maintenant d'un seul bloc, sans la moindre rainure qui laisserait soupçonner que ce machin possédait un couvercle ? Combien de temps suis-je resté prostré devant cette "chose", dans la nuit, me livrant à toutes sortes de réflexions ? Ces réflexions, en tout cas, je m'en souviens fort bien. Cette boîte doit représenter beaucoup d'argent. Je ne suis qu'un petit ouvrier, alors pourquoi ne pas en profiter ? Au fait à qui la vendre ? Comment opérer ce genre de transaction ? Attendons, patience. il se passera bien quelque chose à moins que j'aie, d'ici là, une idée...
Discrètement, je descendis à la cave et cachai la boite sous un tas de charbon, ensuite, je me lavai avant de me coucher. Impossible de dormir : Ai-je bien fait de raconter mon aventure aux autorités ? Et si les petits êtres revenaient pour chercher la boite ?
- Qu'as-tu été faire dans la cave à cette heure-ci ?
La voix de ma femme me fait tressaillir malgré moi : -
Cacher quelque chose.
- Quelque chose ? Quoi exactement ?
Je révélai a ma femme l'existence de la boite mystérieuse et dans quelles circonstances je l'avais découverte.
- Tu es fou, Mario ! Tu vas faire sauter la maison et nous avec !
- Non, ne crains rien, cette boite n'est
pas une bombe, elle n'explosera pas.
Samedi 11 Septembre 1954, 6 h du matin, je n'ai pas beaucoup dormi. On ne peut pas dire que je sois dans une forme olympique : mon abdomen est encore sensible, mes jambes sont en coton. Bref, j'ai l'impression d'être passé sous un rouleau-compresseur ! Je me lève, fais un brin de toilette, avale un café et saisis ma canne à pèche : le calme de la rivière, c'est exactement ce qu'il me faut ! Ce calme, je ne le goûterai que quelques instants, comme celui qui précède les plus violentes tempêtes.
Cela commence par une voix d'homme derrière moi - Monsieur Dewilde ?
Je me retourne - Oui, c'est moi
- C'est pour la Voix du Nord. Pourriez-vous m'accorder une
interview, s'il vous plait ?
Aprés avoir pris des notes sur son carnet, le journaliste me scrute - Vous devriez
rentrer chez vous, monsieur Dewilde, il y a beaucoup de monde...
Beaucoup de monde : bel euphémisme ! Un cordon de
police empêche une foule de curieux d'envahir le terrain qui entoure la maison. Dans celle-ci femme reçoit le
commissaire Gouchet tandis que, dans le même instant, arrivent la Gendarmerie de l'Air et la DST. Et ce n'est pas fini, les "envahisseurs" ne sont pas les extraterrestres d'un
mauvais feuilleton télévisé, mais bien plutôt toutes les polices, y compris la police de l'Air de Lille et de Paris
munies d'appareillages. Ce qui se passe alors dépasse l'entendement humain et j'ai l'impression d'être transporté dans
un monde démentiel ou les ordres fusent de toutes parts, où chacun réclame une priorité d'action : à cet égard, ce
sont des militaires revêtus d'une combinaison anti-radiations qui s'imposent en tout premier lieu : mon locataire,
toute ma famille et moi-même sommes soumis à la détection des compteurs Geiger, ensuite c'est le tour des animaux et
du terrain. Résultat de l'opération : La radioactivité est supportable pour l'être humain et les animaux.
La
preuve est faite : L'ENDROIT OU L'ENGIN S'EST POSE EST RADIOACTIF ! Je ne devrais pas trop me réjouir de cette
"preuve", elle va entraîner des conséquences désastreuses pour moi.
L'enquête sur les lieux est brusquement interrompue par une rumeur houleuse venant de la foule maintenue par le
cordon de police. A cette rumeur s'ajoute un grincement strident suivi d'un grondement lourd. Le premier moment de
surprise passé, la police et l'armée tirent les conclusions de ce nouveau phénomène, plus "rationnel" que
l'atterrissage dont j'ai été témoin : un train, en passant lentement pour ne pas provoquer d'accident parmi
l'attroupement, a provoqué un affaissement de la voie (le grondement sourd) tandis que ses roues patinaient sur les
rails (le grincement strident). L'affaissement s'est produit a l'endroit même ou l'astronef s'était posé quelques
heures plus tôt. Le machiniste immobilise sa locomotive, met pied à terre pour aller téléphoner tandis que les
enquêteurs, stupéfaits, constate une friabilité anormale de la voie et du ballast. Quelques instants plus tard, le
machiniste s'écrie - Le téléphone ne fonctionne pas
- Je sais
, dis-je, il ne fonctionne plus depuis
l'atterrissage.
- Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire ?
gronde une voix aux mâles accents
militaires Cette voix ne dira plus rien dés que celui qui en a l'usage constatera que les piles sont neuves et
paradoxalement vidées. Je ne peux alors résister au plaisir de lui montrer ma torche électrique et mon poste
transistors ! Il compare, rumine, tente de ne rien laisser paraître sur un front soucieux et qui se voudrait
intelligent, mais derrière lequel il n'y a que le vide de l'incompréhension. Prés de la voie, un officier attire
l'attention de tous - Venez voir ici ! Il y a un creux, une sorte de cuvette sur une longueur d'au moins 6 m, il y
a également des traces sur le travers du ballast et des entailles sur les traverses des rails.
Les preuves
s'accumulent et, bizarrement, chaque fois qu'un nouvel élément accrédite mes déclarations, j'ai la désagréable
sensation de poser le pied sur les marches d'un escalier qui descendrait aux enfers. Je sais, désormais, que la
précognition n'est pas un vain mot !