Un préalable d'abord : qu'est-ce qu'un être pensant, un sujet ? C'est un être qui produit du sens, doué d'intentionnalité. Bertrand Méheust, bien sûr, ne l'ignore pas (M., 1978, p.303), mais ne le pose pas en principe ; or, si notre pensée n'est pas libre, ce que nous disons ou faisons n'a pas de sens. Tout individu pensant se donne la liberté comme fin ultime, laquelle détermine en retour des moyens. Formulé en termes physiques, la pensée a une propriété globale essentielle : elle peut fonctionner en temps inversé, le futur y déterminer le passé. C'est ce qu'on peut appeler la finalité intrinsèque ou immanente, par opposition stricte avec la causalité, toujours transcendante puisque nous ne sommes jamais qu'une partie matérielle de la réalité objective.
Cette définition de principe explique déjà le fait bien connu que les personnes "ravies" par des soucoupes déclarent généralement par la suite, sous hypnose, avoir déjà été enlevées (M., 92, p.XV). Outre l'éventuelle induction - banale - du psy de service (M., 92, pp. 105-109), il faut rappeler l'autonomie bien connue des complexes inconscients (les "personnalités secondes") qui, tout comme le moi conscient, reconstruisent en permanence le passé. L'hypothèse "engrammatique", relative à la mémoire, est d'ailleurs totalement abandonnée par les spécialistes, même les plus matérialistes (Changeux par exemple). Il est certain que les souvenirs ne sont en rien comparables à la mémoire d'un ordinateur, n'ont en d'autres termes pas la moindre objectivité spatiale (cérébrale ou génétique) : ce sont irréductiblement des moyens, des tendances subjectives, des configurations dynamiques virtuelles.
Physiologiquement parlant, il n'y a pas au rêve d'explication causale (c'est-à-dire par informations
circulant du passé vers le futur), au mythe a fortiori. On peut, avec Jung, considérer que le rêve compense le réel. Mais cette compensation est
créatrice et très générale. Une personne qui a soif ne rêve pas nécessairement qu'elle boit. L'imaginaire satisfait
d'abord son propre besoin, qui est de créer. A une dame qui déclarait à Picasso ne pas comprendre son tableau, le
peintre, exaspéré, répliqua : Il ne manquerait plus que ça. Est-ce que vous comprenez le chant des oiseaux ? Hein
? Quoi ? ... Et les pommes frites ? Vous les comprenez, les pommes frites ?
Un rêve n'est pas nécessairement
un produit de la mémoire ; il est toujours par contre le produit d'une intention, la vision d'un possible, qui
pourra ou non coïncider avec un présent réel ultérieur.
Certains contactés qui ne connaissaient rien aux ovnis (des Papous par exemple : M., 78, p.217) décrivent pourtant parfois des scénarios types. Nul besoin pour expliquer cela d'avoir recours a priori à quelque hypothèse archétypique qui travaillerait causalement l'espèce : le scénario type correspond simplement à ce que le contacté pourrait entendre ou lire ultérieurement. Et l'on ne voit pas pourquoi l'association d'une prémonition à une activité médiatique transmuterait celle-ci en mythe. Pour un parapsychologue, la situation est exactement la même que dans certains cas de hantises de lieu, où c'est à l'évidence l'état existentiel présent du sujet qui est déterminant, et non quelque énigmatique force tellurique - physique ou morale.
La querelle du platonisme, du culturalisme, des universaux, des archétypes (M., 92, pp. 160, 180) tombe dès qu'on considère les mythes comme des points de convergence finaliste, c'est-à-dire issus d'individus et gratuits. De ce point de vue, l'existence est partout et l'essence nulle part. Plus exactement, les universaux se trouvent dans l'avenir qu'on se construit, dans les possibles qu'on s'ouvre : c'est le principe même de la morale.
Savoir, en particulier, si la transe est pathologique ou non est une querelle de cultures certes (M., 92, p. 181), mais aussi de pouvoirs. L'individu seul, non la médecine ou la politique, est à même de dire s'il est sain ou malade : même infirme, l'individu qui réalise pour lui l'essentiel se considère comme sain. Une société évolutive et consensuelle ne dicte des normes que pour ses membres irresponsables.